LE FRANÇAIS DANS LE MONDE DU TANGO ET LE MYTHE DE GARDEL.
(Extrait de la conférence offerte en petit comité par Manuel de Français à l’École de Langues de Valencia le 22 May 2015)
(PREMIÈRE PARTIE)
PRÉSENTATION
……………………….. Le francophone espagnol est d’une race coriacée ; une race de résistance. La plupart parmi nous, on est des gens d’un certain âge. On se bat avec la langue toute une vie ; on ne la maîtrise pas encore, mais on continue… La lutte continue.
Étant établie la qualité de l’audience, vous me permettrez que je ne présente pas le sujet de mon intervention ; il va se présenter tout seul.
(On écoute la tango Anclao en Paris chanté par Carlos Gardel, musique de Guillermo Barbieri et paroles de Enrique Cadícamo)
LA GENÈSE DU TANGO
Lorsque un troupeau de déshérités de la fortune se livra à de des chants d’orgies d’amour et machisme effrénée… Brutal, n’est-ce pas? Une autre définition: lamentation des cocus, des trompés. Mais si vous voulez une autre plus douce, plus raffinée: Une pensée triste qui se danse.
Le tango est né dans le faubourg de Buenos Aires. Mais dans le faubourg le plus miteux, le plus misérable, même dangereux ; dans l’embouchure de la rivière Matanza-Riachuelo qui débouche dans le fleuve de la Plata.
Cette embouchure, nommé Boca del Riachuelo, est dans l’origine du nom du quartier de la Boca, un quartier bas qui souffrait des inondations à cause d’un phénomène appelé la Sudestada. La Boca est le quartier le plus célèbre dans la genèse du tango, mais il y a aussi le quartier de Barracas, un faubourg plus éloigné encore du centre-ville.
Le tango au début était une musique et une danse ; il n’avait pas de paroles. Ce n’est pas le but de cette conférence établir d’une façon technique son évolution. Il suffira de dire que c’est une danse et une musique d’emprunts. Il se dérive directement de la Milonga laquelle à des apports des danses des noires dites Candombe et de rythmes européens soit la Polka Polonaise, la Contre-danse Espagnole et d’autres. Ce qui nous intéresse c’est la sociologie, le contexte sociale qui origine sa naissance et développement.
Dans la deuxième moitié du dix-neuvième, Buenos Aires souffre la plus grande arrivée d’immigrants de toute l’histoire. Pas seulement à Buenos Aires. Aussi de l’autre côté de l’estuaire de la Plata, la capitale uruguayenne Montevideo. C’est pour ça que pas mal d’auteurs parlent d’une culture Porteña ou Rioplatense. Ils arrivent des européens, surtout des italiens, des espagnols, des allemands, aussi des français et d’autres. La plupart étaient des jeunes hommes. Certains fuissent de la misère, d’autres de la justice, mais tous cherchent améliorer leur vie. Mais il y a aussi l’immigration intérieure. Les gauchos et les noirs libres, habitants de la Pampa deviennent urbains. Toute cette foule se rencontre, se mélange dans les faubourgs. Ce sont tous des gens pauvres, misérables, déshérités de la fortune comme l’on a dit au début.
Il faut improviser des habitations pour cette avalanche humaine. La spéculation foncière qui a suivi l’extension urbaine force les immigrants à s’entasser dans des taudis, los conventillos en espagnol argentin. Ces immeubles de rapport, anciens bâtiments abandonnés qui d’habitude ouvraient sur une cour intérieure, espace à la fois de solidarité et de promiscuité, ont été redistribués pour accueillir le plus grand nombre de personnes. Des pièces de 4 pour 4 mètres parfois sans fenêtre étaient occupées soit par familles, soit par groupes d’hommes seuls. Pourquoi d’hommes seuls, peut-on se demander ?
Voyons le cadre : Les autochtones, descendants des espagnols habitaient le centre-ville et les quartiers à peu près convenants de la ville. Ils mènent leur vie convenable aussi, selon la tradition chrétienne et des habitudes disons victoriennes. La femme est attaché à l’homme par le mariage et a pour but les fonctions de tradition : soigner l’homme, s’occuper de la demeure, procurer la descendance etc. C’étaient les classes dirigeantes. Mais il y avait aussi les pauvres qui se mêlaient aux immigrants européens.
Ceux, comme on a dit étaient surtout des hommes jeunes que les navires européens vomissaient dans le port.
Les immigrants intérieurs, les gauchos chassés de la Pampa sont devenus convoyeurs de troupeaux, de bestiaux. Puis, la plupart se sédentarisent et exercent leur principal talent : l’abattage des bœufs. Mais devenus sédentaires, certains s’encanaillent. Apparaissent les nommés Compadres ou Compadrones dont leur habilité au couteau les rend individus respectés, souvent des chefs de bande ou garde de corps. Vêtus toujours de noir comme évocation de l’Espagne ancestrale ; le foulard blanc était sa seule note qui contrastait avec sa tenue. Ils étaient respectés par tous, même par la police.
Ils sont le modèle d’une pâle imitation : les Compadritos, un socio-type absolument urbain. Il n’a pas connu la Pampa et il est parfois plus volontiers souteneur que garde de corps. Son affection et sa recherche du paraître le rend efféminé. Il n’est pas respecté comme son modèle ; il cherche toujours la bagarre ; le couteau dissimulé dans sa manche. Mais il est un individu gai et bon vivant.
Un énorme taux d’hommes et très peu de femmes ! Les femmes y trouvent une voie, un ascenseur social. Parmi ces classes pauvres , miteuses, il n’y avait pas de mariage. Les unions étaient de fait. Les hommes n’avaient pas des ressorts légaux pour attacher les femmes. Si elles trouvaient qu’un homme leur cassait les pieds, tout simplement elles trouvaient un autre. Et qu’est-ce que cela a à voir avec le tango ? Tout ! Le tango, jusqu’au début du vingtième siècle était un rythme, une musique, une danse ; adopte des paroles. Ruptures douloureuses, jalousie, tromperies, en somme ; douleurs que les femmes produisent dans l’imaginaire collectif des hommes abandonnés. L’ingratitude féminine était déjà connue, mais la nouveauté dans la plupart des paroles, c’est que maintenant c’est la femme qui rompe la relation et cherche un nouvel amour. Dans ces circonstances, les hommes, auparavant faisaient la même chose qu’on fait aujourd’hui : le ridicule !
L’abandon de l’homme n’est plus une souffrance individuelle, elle devient une menace collective ; elle peut arriver à n’importe qui. Les détracteurs du tango simplifient en affirmant : le tango, lamentation de cocus.
Alors la femme devient un idéal rêvé. Les paroles reflètent les différentes attitudes contre le désabusement. Des réactions violentes : l’homme tuait la femme et parfois son nouvel amant. Prétention d’indifférence ; passivité en attendant que le temps soigne la blessure ; l’autodestruction acceptant la culpabilité en se livrant à l’alcool… Et une autre grande nouveauté : l’homme pleure ; les larmes ne sont plus privilège de femme. Parfois ils rêvent de la tombée de la femme. Ils leur vaticinent un futur de solitude, soit ils leurs offrent un pardon non demandé.
Manuel de Français
Juansito Caminador
Images et dessins (signés) : Manuel Geómetra
Documentation :
-Todotango.com -histoire.presse.fr -histoire-tango.fr
-Des centaines de tangos écoutés, surtout de : Carlos Gardel, Roberto Goyeneche et Malevaje.