L’INFLUENCE DU FRANÇAIS DANS LE MONDE DU TANGO ET LE MYTHE DE GARDEL (deuxième partie)
L’influence du Français.
Il y a un autre socio-type non nommé : les enfants de bonne famille dits los Niños Bien. Eux, ils voulaient aussi entrer dans la crapule et faire la bombe dans les quartiers populaires. Les niños bien, à différence des compadres et compadritos qui aimaient jouer la chance du couteau, étaient, selon Borges, des scientifiques qui usaient des armes de gâchette. Jusqu’ ici le tango était une dance des quartiers populaires, né dans les bordels et répandu dans les nommés académies de danse, rien à voir avec l’idée qu’on a aujourd’hui d’une académie. Les bourgeois et les classes dirigeantes refusaient absolument de le danser.
Mais le tango voyage à Paris de la main des Niños Bien. Il a un énorme succès, aussi à Londres, à Moscou… Le pape essaie de l’interdire sous prétexte de lascivité. Mais il s’est installé déjà dans tous les bals de l’Éurope. Et le tango fait son voyage de retour en Argentine, maintenant plus raffiné, plus élégant. Les paroles du début, impudentes, deviennent plus poétiques, même en conservant des mots du lunfardo, l’argot porteño. Et il revient plein de mots du français.
La bourgeoisie de Buenos Aires, qui regardait toujours vers l’Europe, surtout vers Paris, accueille plein d’enthousiasme ce rythme transformé à Paris.
Et le champagne est devenu la boisson du tango. Maintenant l’homme abandonné s’enivrait de champagne, la femme de vie dissolue buvait son champagne.
C’est la fin de ce qu’on appelait le tango de la Vieja Guardia. Pour les puristes, l’ancien tango était mâle, maintenant il leur faisait de la peine. On regrettait qu’on ait changé le sol de boue pour les tapis.
Mais ce qui subsiste c’est la mélancolie, le chagrin, le cafard, la tristesse… Le tango à différence du reste du folklore américain, plein de couleurs, se réaffirme dans sa grisaille. Les poètes du tango, certains hommes de lettres, parfois auteurs dramatiques, sont attirés par l’esthétique du tango. Ils avaient lu les poètes symbolistes français : Verlaine, Rimbaud, Baudelaire… Pour eux comme pour ses collègues français, plus que la couleur, ils embrassaient la nuance ; la nuance du gris.
Les paroles des tangos sont envahies de mots français, parfois adaptés à l’espagnol et ça fait un drôle d’effet cette mixture d’espagnol, lunfardo et français. Mais une mixture charmante. Par exemple :
Mot français Équivalent Sens
Champagne Champán
Chansonnier Chansonié Cantante masc. de orquesta
Culotte Culote Calzones femeninos
Cocotte Cocote Mujer púb. De círculos altos
Garçonnière Garsonié,Garsonier Bulín (en lunfardo)
Grisette Griseta Costurera/Joven de condición Modesta, amiga de galanteos.
Mademoiselle Mamuasel
Madame Madame Regente de prostíbulo
Pernod Pernó
Voiture Vuaturé
Le socio-type de femme chantée dans les tangos est surtout la Miolonguera et son diminutif Milonguita. Le sens de ce terme correspond à une femme très affectée à la danse, parfois embauchée dans les cabarets pour danser avec les clients. Fait aussi référence aux femmes qui fréquentaient les cabarets qu’on prétend de vie licencieuse. Un autre socio-type c’est la Griseta, jeune ouvrière rêveuse, affectée aux galanteries et aux amours romanesques. Dans un seul tango, Griseta, on la compare avec toutes les héroïnes des romans français. Le tango chante : Mélange bizarre de Musetta et Mimi qui rêvait de Rodolfo et de Shaunard, extraits du roman Scènes de la vie de Bohème d’Henry Murger.
Il continue : Elle rêvait de Des Grieux, elle voulait être Manon, extrait du roman Manon Lescaut de l’abbé Prévost. El il finit disant, qu’elle n’a pas trouvé son Duval et on lui vaticinait la même chance qu’à Marguerite Gautier, extrait de la Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils.
Dans cet autre exemple, même Verlaine apparaît.
Escrito en un poema está tu nombre. Ton nom est écrit dans un poème
Colgada en la pared tu cara buena. accrochée au mur ton beau visage
Tus cartas escondidas en un cofre, tes lettres cachées dans un coffret
y en un libro de Verlaine, tus azucenas… et dans un livre de Verlaine tes fleurs de lys
Le Mythe de Gardel
Charles Romuald Gardes, né en 1890 à Toulouse, selon un acte de naissance est arrivé à Buenos Aires avec sa mère Mme. Berthe Gardes, repasseuse de profession. Connue la rivalité entre argentins et uruguayens, ces derniers, récemment l’ont nationalisé uruguayen, né à Tacuarembó, selon certains papiers militaires.
L’ambiguïté et la légende ont toujours accompagné le personnage. Ce qui est hors de doute, c’est qu’il a séjourné pendant son enfance et sa première jeunesse aux alentours du Mercado del Abasto. L’a on le nommait el Morocho del Abasto, expression affective, à peu près comme mignon. Mais il a demeuré aussi à Montevideo.
Chanteur à la voix exceptionnelle, aux registres lyrics, du débout il a été attiré d’abord par les chansons du folklore de la Pampa, après par le tango. Faut dire qu’auparavant, avant l’enregistrement des chansons, les chanteurs chantaient sur des mélodies, des paroles selon leur inspiration. Sauf dans les opéras ou tout était absolument réglé.
Et la révolution se produit. Samuel Castriota, était un compositeur de tango. Il écrit un tango instrumental nommé Lita. Pascual Contursi, devenu parolier, a l’idée d’ajouter des paroles au tango Mi Noche Triste. Carlos Gardel, le mage, envisage l’avenir et décide non seulement le chanter, mais l’enregistrer. C’est la première chanson enregistrée du monde. Cela aujourd´hui paraît une évidence mais c’était une nouveauté : une musique et des paroles, toujours les mêmes, unies par un titre.
Tous ceux qui ont écrit sur lui, soit parce qu’ils l’ont connu, soit parce que ceux qui l’ont connu leurs ont appris, avouent qu’il était généreux, noble, ayant un grand sens de la philanthropie. Il ne se vantait jamais d’aider les autres. Tout qu’il avait réussi dans la vie ; jamais il n’oubliait ses humbles origines. Outre que sa voix superbe et sa façon d’interpréter le tango, il était aimé de tous. Outre que le meilleur chanteur du tango, il était le tango même. Cela il l’avait envisagé déjà quand il avouait que les applaudissements n’étaient pas pour lui, mais pour l’art populaire de son peuple que par un pur hasard joyeux, il avait eu la chance de représenter.
À l’époque où personne ne voyageait, il a voyagé partout. Les pays de l’Amérique du sud, les États-Unis, L’Europe… Il s’est produit sur la scène de Paris, sur les cabarets de la Côte d’Azur, Barcelone, etc. À l’époque où personne n’enregistrait, il a enregistré plus de 1000 chansons en vingt ans, dont la plupart tangos, mais aussi des vals, milongas, chansons de la Pampa, Fox trot, même jota.
Il apportait la voix mais aussi quelques paroles et quelques musiques. Il y a quelques partitions signées Gardel, mais il ne savait pas écrire musique. Il tambourinait des doigts, fredonnait les rythmes et quelqu’un écrivait.
Le tango comme l’on a dit est mélancolie, tristesse, cafard… Il exprimait magistralement ces sentiments, mais selon l’avis de celui qui vous parle, il y avait dans sa voix, toujours un peu caché, une certaine allégresse, une espérance. Gardel comme disent les porteños, chante chaque jour mieux.
Il est mort dans un accident d’aviation à Medellín en Colombie. Il n’avait que 45 ans.
Manuel de Français
Juansito Caminador