Juliette Gréco. La Dame de Saint Germain.
Tendre et dure histoire, comme il y en a d’autres : Une fille arrive seule à Paris ayant pour tout bagage un billet de train et une adresse. Par ces choses de la vie, suivant des cours d’art, elle côtoie d’autre jeunes fous comme elle lesquels, dans une cave voutée à Saint Germain-des-Près, dansaient, faisaient de la musique et parlaient philosophie. Jean Paul Sartre, malgré ses dioptries, la remarqua et fit d’elle la muse de leur groupe : les existentialistes. Il l’encouragea à se dédier à la chanson, mais comme elle répondit que ce qu’elle écoutait à la radio ne lui plaisait pas, Sartre lui fournit quelques paroles, la nuit des manteaux blancs. Un ami compositeur écrivit la musique. Et comme ça, tout simplement elle débuta à Saint Germain.
Muse des Existentialistes, Muse de Saint Germain des-Prés, icône de la Chanson, icône de France, la Diseuse des Poètes, la Dame en Noir ; tous ces épithètes pillées de ci et de là lui sont accordés ; elle les acceptait tout simplement, mais intimement, peut-être, elle s’en moquait un peu.
C’était son caractère à ce que l’on dit : L’humour, son sens d’humour. Sens d’humour nécessaire pour la séduction.
Séductrice à la voix profonde, chaude et sensuelle, maigre ; toujours vêtue pour tuer, en noir, ça va de soi ; bien serré, ce qui élongeait sa silhouette. Elle est restée dans l’imaginaire, dame d’une élégante liberté.
Quand elle ne comptait que 22 ans, un certain Miles Davis, 23, noir, vigoureux, l’on imagine ; le magicien de la trompète, est arrivé à Paris pour se produire dans un festival de Jazz. Coup de foudre, mutuelle admiration ? Les deux choses et plus. Possédés d’une passion incendiaire, ils commencent à brûler le tout Paris, notamment la Rive Gauche. De leurs folies, ont eu raison l’encre des folliculaires en mettant, quelle ironie, noir sur blanc, leur joie de vivre.
Outre que Sartre, au début, elle a chanté Prévert, les feuilles mortes ; Léo Ferre´, Paris canaille, jolie môme ; Boris Vian, le déserteur ; Brassens, chanson pour l’Auvernat ; Brel, tout un album à l’entier et d’autres.
Faut-il détacher, certainement, son premier tube, la Javanaise de Serge Gainsbourg, l’enfant terrible de la Chanson, noyé dans ses propres vices, qui raconte une histoire d’amour qui a duré le temps d’une chanson, le temps qu’elle dansait la Javanaise.
Pour ceux qui ne l’ont pas connue, la Gréco, n’y cherchez pas une grande voix ; en fait, ce n’est pas commun chez les fondateurs de la Chanson des grandes voix. Exception faite d’Édith Piaf à la voix vibrante, mais sauvage, sans éduquer ; Aznavour au timbre bizarre ; Jacques Brel et son accent qui sentait la morue et les gars du nord et, notamment, Gilbert Bécaud, le mâle de la Chanson ; cela licence de cet écrivassier.
Mais le talent des autres, c’est, munis de leurs humbles voix, défendre d’une énorme dignité ces chansons devenues bande sonore de plusieurs vies.
Revenant à Juliette, elle a tourné plusieurs films en France et à Hollywood, mais c’est dans la Chanson, dont elle a perduré pendant presque 70 ans, jusqu’à son tour des adieux de la scène, intitulé Merci, durant 2015 et 2016.
Après, la maladie et le silence. Installée depuis longtemps à Ramatuelle, dans le Midi, sur la côte, près de Saint-Tropez ; c’est un lieu commun, la Méditerranée chez les vieux chanteurs ; Paris ne fait pas bon, pour les vieux os.
Une longue vie à s’en souvenir, car elle, femme à la mémoire prodigieuse, peut-être, se souvenait-elle de ses mariages. Le premier, le bel acteur, Philippe Lemaire, père de son unique enfant, une fille, décédée quelques ans avant. Puis Michel Piccoli, l’acteur fétiche de la Nouvelle Vague qui a, non plus fonctionné. Dans un entracte parmi le deuxième et le troisième mariage, un producteur de Hollywood à oublier, car le magnat ne possédait point la sensibilité qu’elle mettait avant le sexe. Le dernier mari, le partenaire de son âge mûr et de vieillesse, 30 ans partagés avec le pianiste Gérard Jouannest, celui qui accompagnait d’habitude Jacques Brel.
Chansons de grands auteurs el grands poètes ; cet écrivassier, néanmoins garde une affection pour deux chansons qu’on dirait coquines, voire licencieuses : Qu’on est bien dans les bras d’une personne du sexe opposé, Déshabillez-moi.
Juliette Gréco née à Montpellier de 7 février 1927 vient de mourir le 23 septembre 2020 à Ramatuelle ; elle n’avait que 93 ans. Avec elle, rien ne va plus, s’en va la dernière survivante de la Chanson. Le jeune Aznavour, 94 l’a précédé en 2018-
La Chanson est morte, vive la Chanson !
Manuel de Français.