Le Troubadour
(Récit de la Marquise)
Quand une femme a autant vécu, malgré mon âge ; toujours jeune, chaque jour plus jeune. Quand une femme a parcouru une petite partie du monde ; a connu des hommes, a connu même un mari ; voici une affaire qui nous rend égales les plébéiennes et les aristocrates. Quand une femme a appris à vivre sans rendre hommage à sa sensualité, pas par mépris, mais par oublie… Tant a manqué la cruche d’aller à l’eau, qu’elle s’oublie de l’eau et de l’humidité qu’elle fournit. Elle se concentre, je continue à parler de la cruche, dans sa sécheresse et dans son vide qu’elle remplit d’autres choses.
Ah, mes amies, pourtant retrouvé l’humidité, il n’y a rien comparable à la lubrification naturelle, comme dit mon amant : l’humidité, c’est le thermomètre de la passion.
Je l’ai rencontré par un pur hasard, mais comme je n’y crois pas, je parle du hasard, je l’ai rencontré parce que cela devait arriver. Au début, vous savez, élevée dans mes quartiers de noblesse, un simple routier, n’était pas une bouchée pour mon palais fin.
Mais parfois, ces choses, on ne sait pas comment, arrivent ; je l’ai reçu chez moi, son feutre à la main, car il y a des plébéiens gentils lesquels se découvrent chez une dame.
Il a commencé à me parler d’un ton tout bas ; je ne sais pas si j’ai dit déjà qu’il est un troubadour. D’un genre particulier ; il ne chante pas, il récite. Durant un entretien, selon les normes les plus exquises de la politesse, il a égrainé une petite partie de son répertoire. À l’heure de prendre congé, après une simple expérience, j’ai su que ma bouche l’appartenait.
Et la cruche, selon sa vocation ancienne, est allé à l’eau, une fois, deux fois… maintes fois. Comment vous dire ? Quand il me jette dans ses bras, merci Édith pour les paroles, et dans mon lit, je deviens un petit monde qu’il a le droit de parcourir de ses mains toujours exploratrices ; toutes mes régions l’intéressent. Et sa bouche, qui n’assouvit jamais sa faim, explore les sources du bonheur et du plaisir. À cet instant, je deviens sucrerie, tel je me sens en voyant, sans regarder, son avidité. Je m’abandonne à cette avalanche de sensations d’une intensité qui me fait frémir, comme un tremblement tout en haut sur l’échelle de Richter.
Mais la docilité et la quiétude ne demeure pas très longtemps chez moi, car j’aime l’activité. Je deviens agent. Ma bouche, à son tour, au-delà de la sienne, dont elle garde encore le dernier baiser, cherche poussée d’une avidité soudaine, le symbole de sa masculinité. Ah, si vous saviez quelle adresse. Ma main, selon son caprice, le mène, soit dans ma bouche, soit sur mes bajoues.
Et c’est comme ça, que je deviens dominatrice. Tout son être est dans mes mains et entre mes dents. Mais je n’y pense pas. La convoitise ne me permet pas d’avoir des pensées claires. C’est une ivresse !
Et le décubitus dorsal, quelle folie. C’est mon positionnement préféré. Mes yeux, maintenant grand ouverts. Lui, il a beau être plébéien, il a ses caprices aussi. Dans mes yeux, ouverts, comme on l’a dit, il veut voir reflété le toit de ma chambre. Quelle idée ! Voir reflétés dans mes yeux les fresques de ma chapelle d’amour. Il s’approche tellement d’eux, son obstination d’y pénétrer est si ferme, qu’à la fin il y pénètre, il me pénètre et cette fin, n’est qu’un début nouveau.
Il s’étend sur moi, comme la nappe s’étend sur la table pour la dresser. Sous ce couvercle de chair ardente, ma volonté rompe, l’abandon est total, le plaisir, qu’en savez-vous du plaisir ? Je me fonds, je me sens de la même matière que lui ; c’est une approximation à la Trinité : deux corps, une seule substance.
Après l’amour, comme dit le poète, chacun va de son cœur à ses affaires. Lui, il a sa vie, moi, j’ai la mienne. Pourvu que nos chemins se croisent bientôt
La Marquise de X.
Tel a été le récit que Mme. la Marrquise m’a remis, incluant la conformité pour sa publication.
Manuel de Français
Cliquez MATHILDE ET LA MARQUISE pour l’avant-dernière histoire galante de la Marquise